"Le peintre, d'une longue expérience, acquiert son unique trait de pinceau". Humblement, pièce à pièce, il ajoute, retire, divise, exalté tente, reconstruit, donne à voir les effets de son insubordination, en son nom. Nomade constant, son ouvrage décrit l'espace d'un vaste territoire. De ses semailles, chante et danse la récolte de jeux de formes, de couleurs, de matières... Il ouvre et donne à voir un monde : le sien ! Catherine Catski Cisinski
mercredi, janvier 13, 2010
D'où vient qu'on est peintre et que c'est ça qui dit ?
La parole devrait théoriquement être contrat. Mais les mots...
Innocents, ils n'ont rien fait à personne.
Ils sont là, disponibles dans chaque langue,
et s'offrent pour dire sentiments et pensées,
pour décrire, informer, faire partager, se réjouir...
A la merci de nos intentions, les mots peuvent tout autant chanter l'amour,
s'inscrire dans une parole de soutien et de réconfort,
tandis que bien aiguisés, il est possible d'en faire une arme assassine.
Idem pour le silence. Il est d'or, et à la fois,
le silence peut véhiculer l'indifférence, c'est à dire le plus profond mépris.
Également, il est possible de s'habiller avec les mots, d'en faire une coquetterie
vide de sens, ou bien une parole charmeuse, ou un discours trompeur,
devenant un outil de manipulation, comme en politique par exemple.
La pire des intentions qu'on puisse construire grâce aux mots,
c'est de leur confier la possibilité sournoise de culpabiliser autrui,
de l'enfermer dans ses peurs à double tours.
C'est un peu (voire beaucoup)
la posture sociale actuelle qui utilise les mots pour culpabiliser le citoyen,
consommateur invétéré ( mais sans cesse sollicité) qui devrait avoir honte
de détruire sa planète en prenant son bain, en essuyant sa cuisinière
avec des petites lingettes, ou en utilisant sa voiture pour aller gagner son pain,
puisqu'à cause de lui et de la neige réunis,
on est en train de mettre tant de sel sur les routes, que les poissons des
rivières en sont tout retournés et que les arbres bouderont au printemps.
Grâce aux mots, on peut donc dire un paquet de bêtises !
Les mots, ça se dit, mais aussi, ça s'écoute !
Si on veut, on peut donc constituer avec eux un discours sans fin,
histoire de remplir l'espace entre soi et autrui.
Comme ça, on est sûr que autrui n'aura aucune place pour parler.
Mais si on veut, on peut tendre l'oreille et écouter les mots des autres.
Parce que tout le plaisir sera dans la rencontre.
Dans ce cas, les mots deviennent une formidable passerelle,
ou bien une main tendue.
Je ne sais pas si on peut parler de projet.
C'est en tout cas, le fruit d'une décision, d'une aspiration, d'une envie,
d'une curiosité sincère, en rapport à laquelle, les mots sont de braves
petits soldats prêts à rendre service, par leur fidélité incommensurable.
Personnellement j'adore les mots.
Quand j'étais enfant, je les emportais dans un énorme dictionnaire
que je hissais en haut des arbres, et là,j'ouvrais au hasard et tentais
de déchiffrer les sons, tout en regardant la nature autour de moi,
pour y trouver une adéquation, pour m'y fondre. C'est ainsi que je me suis
appris à lire seule, en fronde,au hasard. J'adorais des mots jolis comme "libellule",
"myosotis" par exemple, ou encore "carrément" comme un carré menteur,
ou "circonvolution", ou "anticonstitutionnellement" qui me donnait
tant de satisfaction à savoir prononcer d'un coup.
Quand je qualifie plus haut les mots "d'innocents", c'est en rapport
à cette rencontre avec eux, au sommets des feuilles, du temps où ils
étaient désencombrés de vouloir dire quoi que ce soit pour les autres.
Au sein du dictionnaire, leurs sons me parlaient. Liés avec le paysage
environnant, ils faisaient résonner des images magiques. Je crois que
c'est ainsi qu'on devient peintre sans le savoir encore.
Parce que le mot tel qu'on le retrouve ensuite enfermé dans des paroles
paradoxales, des paroles sans pensée, il est comme gaspillé, meurtri,
vidé de sa sève vitale.
Et puis, des fois, le mot est insuffisant pour faire résonner en un seul
ce qu'on ressent. Alors l'usage d'un autre langage comme celui de l'image
ou de la musique, vient compléter ce qui se loge dans la valise de chaque mot.
Tout ça est bien subjectif. Mais c'est à la subjectivité de chacun que les mots
se trouvent assujettis.
Oui, ce qui nous différencie de l'animal, c'est l'usage de la parole, avec la
liberté de choisir de la faire tenir, ou bien au contraire, de mentir avec elle,
de se mentir même.
Mais ce qui nous différencie de l'animal également, c'est le rire.
Au commencement est la parole.
Et chacun détient la liberté de faire d' elle, un objet digne ou non.
C'est bien cela qui se donne en partage
dès qu'on s'ouvre à l'autre, n'est-ce pas ?
Construire un tableau revient à faire des phrases
avec des mots sans bornes, qui prennent le temps de résonner
au delà de la raison.
Se demander de savoir lire un tableau,
revient à se donner le temps d'entendre la circulation
des images animées à l'intérieur des mots.
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