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mardi, octobre 25, 2016

Discussion avec une amie G.M. et Picasso him self.

G.M confie :
_ "Picasso disait : "Je ne cherche pas; je trouve.
Moi, je cherche toujours à me défaire de ce qu'on m'a appris et laisser plus de place à l'intuition, l'instinct, l'impulsivité, l'urgence. N'écouter que soi-même, en création bien sûr.

Et je répondis :
_ "On trouve" signifie qu'on se débrouille avec ce qu'on s'est donné. C'est la toile ou le dessin qui nous dicte ce qui est à faire... pas l'inverse ! Tout dépend donc du premier geste, du premier trait, de la manière dont a sauté dans le vide. 
Ou bien on retombe sur ses pieds. 
Ou bien on retombe sur ses pieds.
C'est pourquoi j'affirme qu'un professeur de dessin, ou un idiot de psy qui croit faire de "l'art thérapie" sans savoir qu'on risque sa vie sur format A4 comme dans une formule 1, celui là est incapable d'accompagner quiconque aspire à dessiner ou peindre.




vendredi, octobre 07, 2016

Vivre d'art en vérité...


Le monde n'est qu'une école de recherches pour tout artiste.
Par le choix de nos exercices, ce n'est pas le but qui compte.
Notre seule certitude tient dans le fait que ce but ne sera jamais atteint.
Ce qui compte est donc le chemin.
C'est à celui qui fera la plus belle course.
Parce que la vérité nous échappe toujours, plutôt que d'imaginer un jour la détenir,
la question est de compenser l'incurable éloignement du but, par l'excellence de la démarche.
Importent alors la manière, la persévérance et la précision.

Douter, se prendre les pieds dans le tapis fait parti du jeu.
Le travail têtu de l'artiste n'est autre que cette tentative
d'embellissement constructeur
qui repose sur l'ambition incongrue d'effleurer le vrai, parfois.

Catski Cisinski



mardi, octobre 04, 2016

Les arts sont des dialectes d'une même langue originelle...


La pratique d'un art est naturellement une catharsis.
Elle s'opère par le franchissement d'une porte comme celle d'Alice, pour se refaire,
comme le joueur qui risque encore et encore sa chance de réparer, de reconstruire sa mise.

L'artiste ne se sent pas différent de ceux à qui il donne à voir ou à entendre ce qu'il crée.
Simplement, il connaît cette sorte de transe momentanée qui ne lui ôte ni la clarté de sa vision,
ni la sûreté de son trait, mais le répand au-delà de lui-même, dans un abandon que recueille sa toile
et qui fera d'elle ce que d'autres appelleront "une oeuvre".
Lui ne sait pas que c'est une oeuvre.
Il sait juste que ce qu'il a éprouvé est sans mesure,
n'a point de nom,ne supporte aucun commentaire. Il a suivi un souffle qui passe fécond, et s'éloigne.
Qu'il soit peintre, poète, sculpteur ou musicien ne change rien à l'expérience créatrice en son fond.
C'est bien pourquoi le peintre peut passer à l'écriture, philosopher ou décider à tout moment de son parcours, de s'approprier les outils qui l'inspirent.
Les arts sont des dialectes d'une même langue originelle et silencieuse, mais qui parle toujours au coeur de l'oeuvre.

Catski Cisinski




Mon chemin de peintre




Au fil des atomes étoilés
je me balade vers nulle part.
Peintre, je parcours l’écart invisible
d’une 25ème heure,
guidée par une musique indicible,
au rythme de l’ineffable.
Cette quête inéluctable
me dresse à l’infini.
Je vois en creux
les aspérités des contrastes,
en bosses,
la fraîcheur claire des murmures.
J’entends les rires insolents
des couleurs désobéissantes
qui sans cesse
cherchent la chamaille.


J’accommode mon souffle
à cette pluie arrogante.
Je reçois les bruissements du monde,
provocants, en apesanteur
comme les sourires gracieux
d’espaces atmosphériques,
J’ouvre les yeux sur les viviers poétiques
qui s’ébrouent, chantent, dansent,
sans peurs et sans reproches...
Les phrases de la terre
Se dénouent voluptueusement.
Mes poumons s’aèrent de lumière
à la saisie des phénomènes
d’une dictée de l’univers.
Oiseau ivre dans l’air des aires,
je joue des langages offerts
afin d’accueillir
l’horizon chanté de la vie.
Mes bottes ont sept lieues,
toute crottées de peinture.
Je passe mon chemin
soulevée par des lignes de fuite,
géométrie d’un écart lumineux vide,
plein d’espaces- pluriels.
Voyante aveugle, je marche.
J’avance à l’oreille,
je saute au nez, les pieds joints,
juste au point de fuite de ma vision,
où mon corps soulevé
s'alloue aux gestes de ma danse bleutée,
transparente éphéméride.
Et je sème des ors éthérés
comme s’il s’agissait de balles de billard
ricochant au bord des lignes inventées,
visant à marquer de leur sang rouge,
les verts projetés.
La musique me promène
et ma peinture fait preuve des dédales chantés,
des clairières probables encore,
des miroirs traversés à l’infini
des trames inénarrables,
portées, renouvelées,
offrandes des possibles toujours,
changeantes au gré du souffle,
ce dernier, chef d’orchestre,
chorégraphe de mon tracé.
Mon sentiment porte
mon corps à l’ouvrage.
Là où je sens, j’y suis.
Le noir et le blanc du dedans,
génèrent lignes fines et aériennes,
qui harponnent la couleur de l’entendu,
jonglent avec les règles
et construisent leurs lois de l’instant,
sous la dictée d’une grammaire
maîtresse des lieux.
Chaque couleur a ses heures de grâce
et s’affirme comme une nécessité,
via un dictat drastique.
Tout esprit inventif
cherche à libérer la pierre de son poids,
à jeter des cailloux au ciel
pour les fixer dans leur course
exactement aux côtés des étoiles.
Tel est l’ enjeu du désir marchant,
fruit d’un élan primitif,
épris des lumières qu’il séduit,
afin qu’elles se laissent prendre,
s’avèrent consentantes,
décidées à ne jamais lui fausser compagnie,
au ciel de sa mémoire.
« Ce n’est pas tout d’aimer la peinture.
Encore faut-il que celle-ci vous aime ».(Dali)






Catski Cisinski






samedi, septembre 03, 2016

A ceux qu'on foule aux pieds, poème de Victor Hugo

























À CEUX QU’ON FOULE AUX PIEDS


Oh ! je suis avec vous ! j’ai cette sombre joie.
Ceux qu’on accable, ceux qu’on frappe et qu’on foudroie
M’attirent ; je me sens leur frère ; je défends
Terrassés ceux que j’ai combattus triomphants ;
Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m’éclaire,
Oublier leur injure, oublier leur colère,
Et de quels noms de haine ils m’appelaient entre eux.
Je n’ai plus d’ennemis quand ils sont malheureux.
Mais surtout c’est le peuple, attendant son salaire,
Le peuple, qui parfois devient impopulaire,
C’est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants,
Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ;
Je défends l’égaré, le faible, et cette foule
Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements ;
Etant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c’était à vous de les conduire,
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D’une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité.
Ils errent ; l’instinct bon se nourrit de clarté ;
Ils n’ont rien dont leur âme obscure se repaisse ;
Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse
Et plus morne là-haut que les branches des bois ;
Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois,
Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?
En tournant dans un cercle horrible, on devient ivre ;
La misère, âpre roue, étourdit Ixion.
Et c’est pourquoi j’ai pris la résolution
De demander pour tous le pain et la lumière.

Ce n’est pas le canon du noir vendémiaire,
Ni les boulets de juin, ni les bombes de mai,
Qui font la haine éteinte et l’ulcère fermé.
Moi, pour aider le peuple à résoudre un problème,
Je me penche vers lui. Commencement : je l’aime.
Le reste vient après. Oui, je suis avec vous,
J’ai l’obstination farouche d’être doux,
Ô vaincus, et je dis : Non, pas de représailles !
Ô mon vieux cœur pensif, jamais tu ne tressailles
Mieux que sur l’homme en pleurs, et toujours tu vibras
Pour des mères ayant leurs enfants dans les bras.

Quand je pense qu’on a tué des femmes grosses,
Qu’on a vu le matin des mains sortir des fosses,
Ô pitié ! quand je pense à ceux qui vont partir !
Ne disons pas : Je fus proscrit, je fus martyr.
Ne parlons pas de nous devant ces deuils terribles ;
De toutes les douleurs ils traversent les cribles ;
Ils sont vannés au vent qui les emporte, et vont
Dans on ne sait quelle ombre au fond du ciel profond.
Où ? qui le sait ? leurs bras vers nous en vain se dressent.
Oh ! ces pontons sur qui j’ai pleuré reparaissent,
Avec leurs entreponts où l’on expire, ayant
Sur soi l’énormité du navire fuyant !
On ne peut se lever debout ; le plancher tremble ;
On mange avec les doigts au baquet tous ensemble,
On boit l’un après l’autre au bidon, on a chaud,
On a froid, l’ouragan tourmente le cachot,
L’eau gronde, et l’on ne voit, parmi ces bruits funèbres,
Qu’un canon allongeant son cou dans les ténèbres.
Je retombe en ce deuil qui jadis m’étouffait.
Personne n’est méchant, et que de mal on fait !

Combien d’êtres humains frissonnent à cette heure,
Sur la mer qui sanglote et sous le ciel qui pleure,
Devant l’escarpement hideux de l’inconnu !
Etre jeté là, triste, inquiet, tremblant, nu,
Chiffre quelconque au fond d’une foule livide,
Dans la brume, l’orage et les flots, dans le vide,
Pêle-mêle et tout seul, sans espoir, sans secours,
Ayant au cœur le fil brisé de ses amours !
Dire : — « Où suis-je ? On s’en va. Tout pâlit, tout se creuse,
Tout meurt. Qu’est-ce que c’est que cette fuite affreuse ?
La terre disparaît, le monde disparaît.
Toute l’immensité devient une forêt.
Je suis de la nuée et de la cendre. On passe.
Personne ne va plus penser à moi. L’espace !
Le gouffre ! Où sont-ils ceux près de qui je dormais ! » —
Se sentir oublié dans la nuit pour jamais !
Devenir pour soi-même une espèce de songe !
Oh ! combien d’innocents, sous quelque vil mensonge
Et sous le châtiment féroce, stupéfaits !
— Quoi ! disent-ils, ce ciel où je me réchauffais,
Je ne le verrai plus ! on me prend la patrie !
Rendez-moi mon foyer, mon champ, mon industrie,
Ma femme, mes enfants ! rendez-moi la clarté !
Qu’ai-je donc fait pour être ainsi précipité
Dans la tempête infâme et dans l’écume amère,
Et pour n’avoir plus droit à la France ma mère ! —

Quoi ! lorsqu’il s’agirait de sonder, ô vainqueurs,
L’obscur puits social béant au fond des cœurs,
D’étudier le mal, de trouver le remède,
De chercher quelque part le levier d’Archimède,
Lorsqu’il faudrait forger la clef des temps nouveaux ;
Après tant de combats, après tant de travaux,
Et tant de fiers essais et tant d’efforts célèbres,
Quoi ! pour solution, faire dans les ténèbres,
Nous, guides et docteurs, nous les frères aînés,
Naufrager un chaos d’hommes infortunés !
Décréter qu’on mettra dehors, qui ? le mystère !
Que désormais l’énigme a l’ordre de se taire,
Et que le sphinx fera pénitence à genoux !
Quels vieillards sommes-nous ! quels enfants sommes-nous !
Quel rêve, hommes d’Etat ! quel songe, ô philosophes !
Quoi ! pour que les griefs, pour que les catastrophes,
Les problèmes, l’angoisse et les convulsions
S’en aillent, suffit-il que nous les expulsions ?
Rentrer chez soi, crier : — Français, je suis ministre
Et tout est bien ! — tandis qu’à l’horizon sinistre,
Sous des nuages lourds, hagards, couleur de sang,
Chargé de spectres, noir, dans les flots décroissant,
Avec l’enfer pour aube et la mort pour pilote,
On ne sait quel radeau de la Méduse flotte !
Quoi ! les destins sont clos, disparus, accomplis,
Avec ce que la vague emporte dans ses plis !
Ouvrir à deux battants la porte de l’abîme,
Y pousser au hasard l’innocence et le crime,
Tout, le mal et le bien, confusément puni,
Refermer l’océan et dire : c’est fini !
Être des hommes froids qui jamais ne s’émoussent,
Qui n’attendrissent point leur justice, et qui poussent
L’impartialité jusqu’à tout châtier !
Pour le guérir, couper le membre tout entier !
Quoi ! pour expédient prendre la mer profonde !
Au lieu d’être ceux-là par qui l’ordre se fonde,
Jeter au gouffre en tas les faits, les questions,
Les deuils que nous pleurions et que nous attestions,
La vérité, l’erreur, les hommes téméraires,
Les femmes qui suivaient leurs maris ou leurs frères,
L’enfant qui remua follement le pavé,
Et faire signe aux vents, et croire tout sauvé
Parce que sur nos maux, nos pleurs, nos inclémences,
On a fait travailler ces balayeurs immenses !

Eh bien, que voulez-vous que je vous dise, moi !
Vous avez tort. J’entends les cris, je vois l’effroi,
L’horreur, le sang, la mer, les fosses, les mitrailles,
Je blâme. Est-ce ma faute enfin ? j’ai des entrailles.
Éternel Dieu ! c’est donc au mal que nous allons ?
Ah ! pourquoi déchaîner de si durs aquilons
Sur tant d’aveuglements et sur tant d’indigences ?
Je frémis.

Sans compter que toutes ces vengeances,
C’est l’avenir qu’on rend d’avance furieux !
Travailler pour le pire en faisant pour le mieux,
Finir tout de façon qu’un jour tout recommence,
Nous appelons sagesse, hélas ! cette démence.
Flux, reflux. La souffrance et la haine sont sœurs.
Les opprimés refont plus tard des oppresseurs.

Oh ! dussè-je, coupable aussi moi d’innocence,
Reprendre l’habitude austère de l’absence,
Dût se refermer l’âpre et morne isolement,
Dussent les cieux, que l’aube a blanchis un moment,
Redevenir sur moi dans l’ombre inexorables,
Que du moins un ami vous reste, ô misérables !
Que du moins il vous reste une voix ! que du moins
Vous nous ayez, la nuit et moi, pour vos témoins ?
Le droit meurt, l’espoir tombe, et la prudence est folle.
Il ne sera pas dit que pas une parole
N’a, devant cette éclipse affreuse, protesté.
Je suis le compagnon de la calamité.
Je veux être, — je prends cette part, la meilleure, —
Celui qui n’a jamais fait le mal, et qui pleure ;
L’homme des accablés et des abandonnés.
Volontairement j’entre en votre enfer, damnés.
Vos chefs vous égaraient, je l’ai dit à l’histoire ;
Certes, je n’aurais pas été de la victoire,
Mais je suis de la chute ; et je viens, grave et seul,
Non vers votre drapeau, mais vers votre linceul.
Je m’ouvre votre tombe.

Et maintenant, huées,
Toi calomnie et toi haine, prostituées,
Ô sarcasmes payés, mensonges gratuits,
Qu’à Voltaire ont lancés Nonotte et Maupertuis,
Poings montrés qui jadis chassiez Rousseau de Bienne,
Cris plus noirs que les vents de l’ombre libyenne,
Plus vils que le fouet sombre aux lanières de cuir,
Qui forciez le cercueil de Molière à s’enfuir,
Ironie idiote, anathèmes farouches,
Ô reste de salive encor blanchâtre aux bouches
Qui crachèrent au front du pâle Jésus-Christ,
Pierre éternellement jetée à tout proscrit,
Acharnez-vous ! Soyez les bien venus, outrages.
C’est pour vous obtenir, injures, fureurs, rages,
Que nous, les combattants du peuple, nous souffrons,
La gloire la plus haute étant faite d’affronts.


Victor Hugo